Faire son deuil …


Crédit photo : Heung Soon

Les gens parlent de faire un deuil comme ils parleraient de faire son boulot ou faire plaisir. Alors qu’être en deuil n’est pas une question de “faire”, c’est une question de cheminement intérieur et de connaissance de soi. Ce qui ne veut pas dire que ça passera tout seul, avec le temps, sans effort.

On vous parle de 5 étapes (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation) et vous vous demandez alors où vous en êtes ? Si c’est “normal” d’en être “que” là après tout ce temps ? Pourquoi vous n’avez pas “franchi“ telle étape ? Pourquoi vous semblez parfois revenir en arrière ?

Stop aux idées reçues ! Les 5 étapes peuvent être vécues dans un autre ordre, elles peuvent se superposer, certaines peuvent même être sautées. A chacun son fonctionnement.

On sait qu’un deuil est terminé quand on arrive à se souvenir de la personne (ou situation) perdue sans émotion perturbante. C’est un cheminement intérieur, à l’issue duquel on peut arriver à l’acceptation. Mais c’est quoi l’acceptation ? Souvent, on fait le deuil de la personne (ou situation), on accepte son absence et ses silences, on avance sur un nouveau chemin … et pourtant les souvenirs de l’être cher (ou situation) nous accablent à la moindre occasion. Pourquoi ? Parce qu’il est rare de comprendre tout ce que l’on a perdu. On fait le deuil de la personne mais pas de la relation qui nous unissait. On fait le deuil d’un emploi mais pas de la valeur sociale qu’il nous apportait. On accepte la perte de nos capacités mais pas forcément la perte du désir dans le regard d’autrui.

«Ce qui fait mal est d’aimer à nouveau, oui, mais sans qu’il y ait la personne imaginaire qui soutient cet amour », ce soutien qui vient de « ma propre image renvoyée par l‘autre vivant et aimé. Maintenant qu’il n’est plus là, je retrouve ses traces et son amour sans pour autant retrouver ma propre image. Le travail de deuil consiste à m’habituer à être dans le silence de la présence de l’autre perdu. (…) il faut que j’aime l’autre sans moi idéal, c’est-à-dire sans image de l’autre, ni ma propre image. » (J.-D. Nasio) Ou comme le formulait J. Lacan : « Nous sommes en deuil de celui pour qui nous avons été – sans le savoir – à la place de son manque. »

Ainsi nous sommes en deuil par un mouvement réciproque : parce que la personne a été le soutien de notre propre image et parce que nous avons occupé la place de l’objet de son désir.

Faire son deuil” c’est donc comprendre l’étendue de nos pertes, pour toutes les accueillir, les intégrer et les pacifier.

L’art thérapie analytique peut vous aider sur ce chemin intérieur. Chaque tableau est l’occasion d’explorer la part inconnue de soi, pour mieux comprendre ce qui nous trouble, nous émeut, nous agite, nous bloque, nous dérange, … Ce travail d’exploration de soi à travers la peinture, vous permettra d’identifier où vous en êtes, clarifier ce qui vous échappait jusqu’alors et ainsi amener le processus de deuil à son terme.

Je vous partage ce texte de Pema Chödrön, tiré de son livre Faire de sa vulnérabilité une force. Ce passage m’a particulièrement touché par sa justesse, même s’il peut être difficile à comprendre et accepter au début du processus de deuil.

« Nous vivons tous dans une bulle, que nous le voulions ou non. C’est notre propre version de la réalité, créée par notre ego, qui se détourne toujours de la nature ouverte des choses et qui tente de préserver ce qui lui est familier. » Lorsqu’une personne décède, encore plus si elle décède brutalement, « rien dans notre cadre conceptuel ne nous prépare à cette expérience où « la vie telle qu’on la connaît prend fin ». (…) Tous nos points de référence ont disparus ; notre conception de la réalité ne tient plus. (…) Il n’y a rien que nos concepts limitatifs puissent fixer. Il n’y a rien de permanent ou de solide à quoi nous raccrocher. (…) Les choses sont « libres de tout sens ajouté ». Au lieu de vivre les choses telles qu’elles sont, notre esprit leur superpose des couches de sens. (…) Quand un événement imprévu fait éclater notre bulle, nos sens ajoutés volent en éclats. (…)Quand votre bulle éclate, même les choses les plus ordinaires de votre vie (…) sont dépouillés de leur couche de sens ajouté. Vous vous retrouvez dans un espace ouvert, flottant. Cette sensation peut être brève ou, dans le cas d’un choc sévère (…) se prolonger bien davantage. Si votre monde est radicalement bouleversé, il faudra peut-être beaucoup de temps pour le remettre d’aplomb, pour que vous sentiez à nouveau le sol sous vos pieds. » Mais elle nous encourage à « dépasser cette sensation. Quand tout vous paraît dénué de sens, vous savez que vous êtes connecté à une forme de sagesse. Vous savez que vous êtes sur la voie de la vérité. Vous vous servez de vos yeux et vous voyez le même monde qu’auparavant, mais il n’y a plus de le sens factice que vous lui donniez. Vous vous rendez compte que, depuis toujours, vous fabriquez votre univers entier. Les choses sont telles qu’elles sont, elles se déroulent comme elles se déroulent, mais notre ego, continuellement à la recherche de confirmation et de sécurité, y superpose des couches de sens. (…) Plus nous nous accoutumons au vide, plus nous sommes ouverts au ravissement. Quand nous commençons à ressentir les choses telles qu’elles sont réellement, par-delà les étiquettes et les sens ajoutés, nous nous libérons gaiement de nos illusions. »

Chaque crise peut devenir une opportunité pour nous de grandir et d’évoluer.