… pour se défendre de quoi et comment ?
Vous avez peut-être déjà entendu parler des mécanismes de défense, sans bien comprendre de quoi il s’agit. Pourtant vous pouvez observer que votre manière de réagir à des situations stressantes ou jugées menaçantes est souvent la même, mais elle est différente de votre voisin. Alors essayons d’y voir plus clair. Pourquoi et comment se défend-on ?
Les mécanismes de défense sont des mécanismes majoritairement inconscients, déclenchés par des situations de crise et étant progressivement intégrés comme des caractéristiques stables de la personnalité. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un fonctionnement défensif déclenché par la détection d’une situation jugée menaçante, qui est alors remplacée par une autre réalité psychique fonction de la conduite défensive adoptée.
La défense est dite “réussie” si elle écarte une angoisse liée à une pulsion ou si elle arrive à maintenir une pulsion interdite inconsciente ou si elle permet d’échapper au déplaisir. Mais ce mécanisme reste dangereux car il restreint le domaine de la conscience et falsifie la réalité.
Il ne s’agit en aucun cas de supprimer nos mécanismes de défense. S’ils restent souples et temporaires, ces conduites d’ajustement sont bénéfiques. En revanche, s’ils deviennent excessifs et rigides, ou au contraire s’ils font défaut, ils rendent la personne esclave. Il s’agit donc avant tout de les connaître pour agir en conscience et, parfois, les substituer par un autre mécanisme plus adapté.
L’individu dispose de tout un répertoire de mécanismes de défense et en utilise souvent plusieurs. La théorie clinique1 en a identifié 29. Je ne vous parlerai ici que des plus communément adoptés. A vous d’identifier ceux qui vous correspondent !
“ Les mots tus s’en vont hurler au fond de nous. “ Christian Bobin
Oublier ou refouler ?
Le refoulement est le rejet dans l’inconscient de représentations conflictuelles demeurant actives, tout en étant inaccessibles à la prise de conscience. Il a pour but d’éviter une prise de conscience désagréable mais l’élément refoulé peut réapparaître à tout instant (appelé retour du refoulé).
Dans les cas bénins, le refoulement donne lieu à des lapsus, erreurs de mémoire, oublis de noms ou d’objets, … Mais, il faut bien distinguer oubli et refoulement, ce dernier étant un “faux” oubli, sélectif mais inconscient, qui n’est pas définitif.
Le refoulement a un rôle protecteur et sain. C’est une défense qui permet de contenir certaines de nos pulsions qui nous feraient courir à notre perte. Entre refoulement normal et pathologique, tout est question de quantité. La méthode des associations libres, utilisée en psychanalyse ou en art thérapie analytique, est un bon moyen d’identifier et lever le refoulement.
Faire du sport pour réguler ses émotions ou activisme ?
Les émotions perturbantes répétées entraînent une adaptation du corps qui épuise l’organisme. Le cerveau envoie des messages d’alerte, le corps se prépare à l’action et mobilise des ressources mais l’action ne vient pas. Faire du sport permet de libérer ces énergies et de les canaliser dans l’action, sans quoi ces substances nocives s’accumulent dans l’organisme.2
Attention toutefois de ne pas tomber dans l’excès. Certains ne prennent pas le temps d’observer et ressentir leurs émotions, préférant être dans l’action perpétuelle. Il s’agit alors d’un mécanisme de fuite, de déni émotionnel, appelé “activisme”. Le risque est un retour intempestif des ruminations ou des réactions explosives dès que l’on arrête l’activité de distraction.
Intellectualisation et rationalisation des émotions
Comme pour le sport, rationaliser ses émotions est un mécanisme de défense, utile à condition de rester flexible et mesuré.
Avoir un raisonnement logique est utile et permet de résoudre un problème réel. En revanche, transformer l’affect en idées, afin de s’en détacher, est souvent stérile. Il s’agit de substituer la connaissance, la logique et l’objectivité, aux émotions et pulsions pour éviter des sentiments gênants. Le mental va même parfois jusqu’à plaquer une apparente rationalité sur une action irrationnelle pour justifier des attitudes injustifiables. Intellectualiser ses émotions est donc une forme de déni, pour éloigner les perceptions dérangeantes. En cas de tension excessive, cet évitement, plus ou moins conscient, conduit à des réactions explosives.
De l’anticipation au catastrophisme
L’anticipation consiste, lors d’une situation conflictuelle, à imaginer l’avenir, pour se préparer par avance à ses propres réactions émotionnelles, prévoir les conséquences de ce qui pourrait arriver ou envisager différentes solutions possibles. A ne pas confondre avec l’organisation normale de nos activités qui n’est pas liée à un conflit.
L’anticipation a un effet bénéfique, permettant de prévoir les situations traumatiques pour s’y préparer et dominer ses inquiétudes (ex : préparation à la mort ou au deuil). Attention toutefois de ne pas tomber dans l’anticipation “catastrophe”, où l’on imagine un futur nécessairement négatif qui renforce nos peurs et nous empêche de réfléchir et d’agir sereinement.
A l’inverse, l’incapacité à recourir à l’anticipation est un signe de déroute intellectuelle sous l’influence des émotions. Cela empêche l’individu de prendre de la distance vis-à-vis d’une situation et peut devenir pathologique.
Humour ou ironie ?
Il s’agit de présenter une situation vécue comme traumatisante de manière à en dégager les aspects plaisants, ironiques, insolites. C’est dans ce cas seulement (humour appliqué à soi-même) qu’il peut être considéré comme un mécanisme de défense. A ne pas confondre avec l’ironie, malveillante et dirigée contre autrui.
Ce mécanisme de défense, jugé le plus élevé de tous par Freud, est précieux et rare. En s’amusant d’une situation pénible, l’individu fait obstacle au développement de la souffrance et évite de se laisser abattre. La personne a conscience du désagrément de la situation et s’en dégage volontairement. L’humour ne présente aucun risque. Il est libérateur et ne s’appuie pas sur le refoulement. Il permet d’obtenir du plaisir, permet de relativiser ses difficultés et de prendre du recul. Toutefois, en cas de recours perpétuel, il peut constituer un “écran affectif” difficile à percer pour l’entourage.
Sublimer ses pulsions
La sublimation consiste en la déviation de l’énergie d’une pulsion sexuelle ou agressive vers des activités valorisées socialement (artistiques, intellectuelles, morales ou sportives). Il s’agit d’une forme de marchandage. La pulsion ou l’affect est canalisé vers un comportement plus adapté (ex : pulsions agressives en sport de combat). C’est une défense particulièrement “réussie” dans la mesure où elle permet de supprimer les pulsions refoulées et donc de se libérer des tensions, là où d’autres mécanismes laissent l’individu en état de tension perpétuelle. Ce processus est sain, à condition qu’il ne supprime pas toute activité sexuelle ou agressive, sinon il y a alors risque de maladies liées à la frustration.
On pense souvent à la sublimation dans le cas d’activités socialement valorisées. Pourtant elle est aussi à l’œuvre dans des métiers peu prestigieux qui requièrent une grande quantité d’énergie, ou dans le cas de hobby, collections, ou encore dans les valeurs religieuses.
N’oubliez pas toutefois, que même s’il s’agit d’un mécanisme de défense “réussi”, il indique le besoin inconsciemment de devoir se défendre d’une situation menaçante. Alors de quoi vous défendez-vous ?
Recherche d’aide extérieure (affiliation) ou repli sur soi
L’affiliation transforme un désir de socialisation en besoin de soutien par autrui. Le lien social est recherché pour apporter un soutien émotionnel, un sentiment de protection et d’amour, se rassurer sur sa valeur, … Si le recours à ce mécanisme reste mesuré, il a un effet bénéfique. Il est fréquent et jugé “adapté”, à condition de trouver des personnes en capacité d’écouter et d’apporter le soutien attendu. Les groupes de paroles, le soutien aux malades ou les cérémonies funéraires constituent ainsi des formes d’affiliation réussies.
En revanche, cette défense devient problématique si, dès la moindre contrariété, la personne se confie pendant des heures, ou si elle a besoin d’autrui pour affronter les situations menaçantes. S’installe alors un lien de dépendance.
A l’inverse, l’affiliation peut être rejetée si la personne a vécu des expériences de rejet dans l’enfance. Cela engendre un repli sur soi et un refus de s’appuyer sur autrui par peur de la déception ou de l’abandon. Dans certains milieux toxiques, le maintien d’une distance vis-à-vis d’autrui permet toutefois de sauvegarder l’intégrité de son monde interne.
Altruisme ou sacrifice ?
Ce que la théorie clinique appelle “altruisme-défense” se rapproche de la notion de sacrifice. Elle est une réponse à de l’agressivité refoulée par culpabilité, un déplacement de l’agressivité vers un but noble, ou une jouissance par procuration d’un plaisir qu’on se refuse à soi-même et que l’on donne à l’autre, jugé “meilleur” que soi. Ainsi, la personne gère son conflit en se dévouant à satisfaire les besoins d’autrui. On se bat pour quelqu’un d’autre plutôt que pour ses propres intérêts, parfois jugés culpabilisants (ex : l’enfant qui va accomplir les rêves insatisfaits de ses parents).
L’altruisme devient problématique s’il se transforme en militantisme excessif ou sacrifice de soi permanent. Mais, son absence est également néfaste car il enferme dans un égocentrisme qui menace la vie en société.
Déni de réalité
Le déni consiste en une action de refuser la réalité d’une perception vécue comme dangereuse ou douloureuse pour soi. Au-delà d’une simple négation, le déni est un refus catégorique de la réalité extérieure ou psychique, jugée menaçante. Le déni protège l’individu en remettant en question le monde extérieur plutôt que soi-même.
Déni de séparation, déni du manque, déni de la différence des sexes, déni de la mort, déni de grossesse, déni de la perte d’un être cher, déni du danger et conduites à risques ou addictives, … les objets de déni sont multiples. Dans les cas de traumatismes forts ou d’une prise de conscience jugée inacceptable par son environnement proche, le déni peut évoluer en production délirante, déréalisation et dépersonnalisation. La perception n’est pas intégrée, ni symbolisée. Elle revient alors sous forme hallucinatoire ou délirante. Il est alors essentiel d’aller explorer ce qui est nié pour s’en libérer.
L’art thérapie analytique peut-elle aider à connaître et maîtriser ses mécanismes de défense ?
Plusieurs techniques permettent d’identifier les mécanismes de défense d’un individu : associations libres, étude des rêves, traduction des symboles, analyse des résistances, … Les thérapies par le jeu, comme l’art thérapie analytique, constituent de fabuleux outils pour identifier les mécanismes de défense, grâce au déplacement qui s’opère et favorise le lâcher-prise.
Ainsi l’art thérapie analytique permet de prendre conscience de l’inconnu en nous, en le matérialisant dans l’œuvre. La peinture aide à mettre en relation conscience et inconscient, grâce à l’utilisation de symboles qu’il s’agit de décrypter. Chaque tableau est une partie d’un puzzle que l’on assemble pour identifier ses modes de fonctionnement et se réapproprier ses émotions refoulées ou niées. L’art thérapie permet d’entrer en contact avec une image globale de soi, permettant d’agir en conscience et non soumis à des mécanismes de défense inconscients, pour ainsi retrouver sa souveraineté.